Présidente directrice générale de la Société Ivoirienne de Traitement de l’Anacarde (Sita), Massogbé Touré a créé la filière anacarde en Côte d’Ivoire. A la tête de la commission « développement de l’entrepreneuriat féminin » au sein de la Confédération Générale des Entreprises de Côte d’Ivoire (CGECI), elle milite à la fois pour l’autonomisation des femmes en milieu rural et le soutien des producteurs de noix de cajou.
C’est aussi simple, je suis venue à l’agriculture par amour, par passion. Je n’ai pas cette formation. Très jeune, j’ai épousé l’esprit entrepreneurial par rapport à mes parents. Mon papa était transporteur et ma mère une bonne commerçante. C’est dans cet environnement que nous avons été élevé mes sœurs et moi et nous avons pris goût. Après mes études, j’ai travaillé dans une boite internationale et j’ai démissionné par la suite pour me mettre à mon propre compte. Je suis retournée dans mon village et j’ai commencé à développer la culture de la noix de cajou. Depuis 1980, je suis dans cette filière jusqu’aujourd’hui.
Quand on voit le jour au village, qui plus est en Afrique, on sait mieux que quiconque la valeur de la terre. Née à Odienné, à 900 km d’Abidjan, Massogbé Touré Diabaté sait que l’agriculture reste la principale source de richesse pour les communautés rurales. Aussi, malgré des études de commerce et un début de carrière prometteur au sein d’une multinationale, elle a fait, il y a trente-deux ans, un retour aux sources.
« Petite, je rêvais de construire un jour de grands projets, m’occuper de mes parents, de ma famille, de mon village, et participer au développement de mon pays. Je suis issue d’une famille de cinq filles, il fallait tout faire pour pallier au manque de garçon. Avec un père transporteur, j’ai très tôt appris à conduire un tracteur. Je connais bien ma région, l’une des plus pauvres de la Côte d’Ivoire, où j’ai grandi et fait toutes mes études. La population y est à 99% agricole. Cette agriculture, basée sur la culture du riz, et soumise à de nombreux aléas, souffre en outre de l’exode rural, du vieillissement des populations et des plantations. Face à ce constat, je me suis dit qu’il fallait agir. Qui d’autres que nous, les enfants de la région, peuvent participer au développement ? ».
Au cours d’un voyage en Inde, elle trouve sa pépite d’or, l’anacarde, autrement connu sous le nom de noix de Cajou. « J’ai alors décidé de démissionner de mon poste pour retourner dans la région de Kabadougou et entreprendre la culture de l’anacarde. J’ai commencé avec cinq hectares. Au bout de quatre ans, j’ai utilisé cette récolte pour la distribuer gratuitement dans tout le nord du pays. À cette époque, nous produisions moins de cinquante mille tonnes par an. Aujourd’hui, trois décennies plus tard, la Côte d’Ivoire est devenue le premier producteur mondial de cajou. »
Massogbé Touré Diabaté ose l’aventure de l’industrialisation à une époque où la transformation des matières premières reste un défi dans l’agriculture ivoirienne. « Pour pérenniser la filière, il ne fallait pas s’arrêter à la production » explique-t-elle. En 2000, elle monte la Société ivoirienne de traitement d’anacarde (Sita), première usine de transformation du produit dans le pays.
« Nous avons été les pionniers, les cobayes également. J’avoue que cela n’a pas été facile. Nous avons dû tout payer cash. Mais, aujourd’hui, nous exportons en Europe et aux Etats-Unis. Nous sommes sur le marché international. Être le premier exportateur mondial d’anacarde n’est pas un titre qui nous honore. Le défi, pour nous, c’est de transformer localement toute la production nationale. Nous ne pouvons pas continuer à l’heure de l’émergence de la Côte d’Ivoire à exporter la noix de cajou brute ! C’est ce pour quoi nous nous battons ! »
Pionnière dans la filière, et véritable entrepreneure dans l’âme, Massogbé Touré se mobilise pour les communautés villageoises, et en premier lieu, les femmes. Elle leur procure un savoir-faire mais également des équipements. Avec un seul leitmotiv : favoriser l’autonomisation des femmes en milieu rural. « Nous comptons plusieurs coopératives, avec essentiellement des femmes. Nous leur faisons bénéficier de notre expérience en les encadrant, en les accompagnant, en leur transmettant les bonnes pratiques agricoles. Cet encadrement permet aux paysans de devenir semi-industriels. S’ils arrivent à passer à la première transformation, ils créent alors des emplois et gardent les jeunes dans les villages. Le développement de cette filière donne la possibilité aux populations d’assurer leur propre autonomie financière. Et ce, grâce à ces petites unités industrielles. Même une femme avec des enfants va pouvoir travailler près de chez elle. Nous œuvrons pour le développement durable. Tout le monde n’a pas la patience que requiert l’agriculture. Il faut planter, attendre, récolter, transformer, consommer ou exporter. Il faut accompagner ceux qui ont osé la vie entrepreneuriale. Les pays qui ont réussi, les pays émergents, sont ceux qui ont donné un coup de pouce à l’entrepreneuriat. »
Auréolée de ces succès, Massogbé Touré hérite de la présidence de la commission « développement de l’entrepreneuriat féminin » au sein du patronat ivoirien. Sans langue de bois, elle interpelle les autorités en faveur des agriculteurs nationaux, les hommes autant que les femmes. « Nous plaidons auprès des pouvoirs publics pour qu’ils mettent en place les mesures nécessaires pour accompagner les opérateurs locaux et promouvoir l’émergence de champions nationaux, pour transformer nos matières premières, seul gage d’un développement durable ! Aujourd’hui, nous nous réjouissons du fait qu’il y a une volonté politique dans ce sens, celle du Président Alassane Ouattara, qui entend faire de ce pays une nation émergente à l’horizon 2020. Cela ne se fera pas sans les petites et moyennes entreprises et industries, ni sans usine de transformation. Il nous revient, à nous, opérateurs privés et la CGECI (Confédération Générale des Entreprises de Côte d’Ivoire), de faire des propositions fortes à l’Etat. Les expertises, les tables rondes, les forums, ne manquent pas. Le diagnostic est connu. L’heure n’est plus au verbe mais à l’acte. Sans prise de conscience et action, des filières comme celle de l’anacarde vont mourir. Nous attendons des mesures concrètes comme des exonérations et des bonus pour ceux qui transforment. Le goulot d’étranglement, c’est l’équipement. Sans trésorerie, les producteurs doivent s’endetter. Ils ne peuvent pas compter sur une banque de développement, car il n’en existe pas pour les petits exploitants. Ils doivent passer par les banques commerciales et emprunter à taux élevé ».
Un combat qu’elle mène pour elle mais aussi pour les générations futures. « Les femmes, ici et ailleurs, restent les locomotives, les catalyseurs et les moteurs du développement économique et social dans nos nations. Comme le dit si bien le titre du rapport annuel de la Banque mondiale année 2017 : Et si l’émergence était une femme ?… »